Joséphine Baker ou le triomphe de la bonne conscience ?
L’entrée de Joséphine Baker au Panthéon cette semaine fait partie de ces temps forts d’une présidence qui convoque les mânes des grandes âmes du pays pour s’élever quelque peu et se hisser au niveau de la grande histoire et des exemples qui inspirent les humanistes les plus sincères.
Ces grands messes républicaines disent évidemment quelque chose de l’époque et encore plus des arrières pensées ou des contradictions du pouvoir et de ses soutiens dans une ère de la transparence.
Joséphine Baker revisitée
La danseuse exotique devenue résistante et militante est une icône commode, rassurante pour qui veut regarder sa vie comme une épopée lisse un peu à la manière des fresques hollywoodiennes en Technicolor des années 50, dégoulinantes de bons sentiments.
Il faut dire que sa biographie fait sa légende et parle à notre temps.
Métisse, avec des origines antillaises, amérindiennes et européenne, la danseuse, comme beaucoup de Noirs américains, vient à Paris car la France est un havre de liberté pour ces personnes soumises à la ségrégation et à un racisme présent dans les profondeurs de ces Etats-Unis, « home of the free »…
Mais, la France est « moins raciste ». Aujourd’hui encore, le pays est « moins raciste » que les Etats-Unis, pour autant, il y a moins de Noirs à des fonctions de leadership contrairement aux Etats-Unis et rien n’est fait pour que cela change.
Baker, s’émancipe du carcan de la race, mais elle n’a rien oublié de là d’où elle vient.
Elle aurait pu se désintéresser de la situation des Afro-américains et se cantonner à faire danser le tout Paris. Bien au contraire, elle participe au mouvement de la Harlem Renaissance, un courant intellectuel, culturel et artistique dans lequel on retrouve Marcus Garvey, Louis Armstrong, Duke Ellington et bien d’autres.
Joséphine Baker n’est pas née diva ou icône.
Aujourd’hui elle serait jugée comme « woke », comme « identitaire », car ses combats dits « universalistes » n’étaient pas opposés à la défense des opprimés. Elle avait des engagements de gauche. Le mouvement des droits civiques avec Martin Luther King, le soutien aux luttes anti-impérialistes et celles du Tiers Monde qui l’ont menée à Cuba soutenir la Tricontinentale, son combat contre l’antisémitisme, tout cela est actuel et on imagine aisément qu’aujourd’hui elle lutterait contre l’obsession anti musulmane, la xénophobie et pour un meilleur accueil des migrants…
Si on veut vraiment honorer Joséphine Baker, ne prenons pas dans son parcours ce qui nous arrange et ce qui nous évite de poser les bonnes questions. Sinon, ce serait de l’instrumentalisation et une quête de bonne conscience à bon compte.
Pierre Kanuty